La brève histoire des émotions : Chapitre V, L’admiration

La mar­iée était prête. Vêtue d’une splen­dide robe busti­er scin­til­lante et vaporeuse, Elsa mar­chait dans la verte allée de la cathé­drale. A deux pas de la porte d’entrée en bois sub­tile­ment sculp­tée, elle entendait le morceau d’ouverture choisi par ses soins. A la pre­mière note du « Canon de Pachel­bel », elle devrait pénétr­er dans le narthex pour ensuite remon­ter la nef et s’arrêter juste avant l’abside, près du père de sa fille. Son frère jumeau, Matei, lui don­nerait le départ. Elle arrangeait ses cheveux mi-longs qui avaient été lis­sés avec minu­tie pour rap­pel­er les coif­fures soignées des années soix­ante. Du dis­cret « bibi » à la sobre déco­ra­tion de plumes par­tait une vague de blond cen­dré qui s’achevait dans une dernière courbe allant caress­er la finesse de sa nuque. Son regard d’un bleu glacial était légère­ment dis­simulé par une courte voi­lette en résille semi rigide. L’arc de ses lèvres bien ourlées était par­faite­ment dess­iné par le rouge à lèvres dont la couleur con­trastait avec la pâleur de la pig­men­ta­tion de sa peau, pro­pre aux filles de l’est. Elle ne serait apaisée qu’une fois la bague au doigt. Ce serait son heure de gloire. Elle avait tant œuvré pour en arriv­er là. Elle y était presque. Tout le reste suiv­rait…

Matei ouvrit la porte.

  • C’est à toi « soeurette ». Oh… T’es mag­nifique !
  • Mer­ci mon frérot ! Toi aus­si t’es superbe. Elles vont toutes fon­dre en te voy­ant.

Matei fit une mim­ique de tombeur.

  • Mais non… Stop ! dit-elle en pouf­fant de rire et en lui cares­sant affectueuse­ment le vis­age.

Il s’avança pour l’embrasser sur le front.

  • Ils vont en pren­dre plein la vue. Allez, c’est par­ti, princesse.

Ils étaient insé­para­bles mal­gré leur état d’esprit diver­gent, et recon­naiss­ables par leur sim­i­laire prestance naturelle. Quel que soit l’endroit, ils ne pas­saient jamais inaperçus. Bien entrainé durant des années mou­ve­men­tées en tant que mer­ce­naire, Matei avait dévelop­pé une mus­cu­la­ture impres­sion­nante qui impo­sait le respect. Son allure, à mi-chemin entre le mau­vais garçon et le galant homme, atti­rait tous les regards. Ses longs cheveux blonds miel ramenés vers l’arrière avec dés­in­vol­ture témoignaient d’un car­ac­tère libre et indis­ci­pliné, à la fois aimé par les femmes et détesté par la gent mas­cu­line. Son faciès, aux traits affir­més et à la barbe nais­sante bien tail­lée, attes­tait d’une humeur déter­minée et d’un intérêt cer­tain pour son apparence. Cette force qui émanait de sa per­son­nal­ité farouche et impul­sive était un indé­ni­able « attrape-mouch­es » pour l’ensemble de la gent fémi­nine en recherche d’hommes intens­es et solides.

Elsa res­pi­ra pro­fondé­ment et s’avança, l’air alti­er, au cœur de ceux qui représen­taient l’environnement ami­cal de Ioan, cette noblesse et nou­velle bour­geoisie dite dis­tin­guée, mais surtout con­de­scen­dante. Elle savourait cet instant où tous les con­vives étaient à ses pieds, badant le moin­dre de ses gestes. Elle pou­vait enten­dre les mur­mures d’engouement pour celle qui deve­nait tout à coup une reine. L’assemblée la dévo­rait des yeux, cette fille de la terre qui, telle une rose en pleine éclo­sion, écrivait son his­toire en se hissant au sum­mum de la hiérar­chie sociale par son union inat­ten­due au galeriste de renom. Elle en avait sur­mon­té des obsta­cles. Elle en avait com­mis des injus­tices pour évin­cer ses rivales. Elsa sen­tit une main effleur­er la sienne. Elle tour­na légère­ment la tête. Sa mère, qui jadis avait été la plus belle de son vil­lage, était émue aux larmes. Elle aurait souhaité se lever pour ser­rer son enfant dans ses bras. Cepen­dant, son vis­age d’ange com­prit rapi­de­ment, par le regard répro­ba­teur de sa fille, qu’elle devait rester à sa place. Cette mère grison­nante, can­dide et réservée, se rav­isa. Usée par des années de dur labeur et d’obéissance, elle eut du mal à dis­simuler sa décep­tion d’être rabrouée, tout autant que son sen­ti­ment de cul­pa­bil­ité de ne pas être à la hau­teur de la sit­u­a­tion. Le père, quant à lui, se con­tenta de hocher la tête avec sa sévérité habituelle. Der­rière cet her­métisme hérité de la rigueur mil­i­taire, Elsa déchiffrait toute l’admiration et tout l’amour qu’il lui por­tait. Cet homme valeureux s’était forgé un men­tal d’acier ain­si qu’un masque d’apparente insen­si­bil­ité pour sur­vivre. Georg, le rus­tre au cou de bœuf, broy­ait de stress ses mains puis­santes et noueuses. La jeune femme savait qu’il la chéris­sait au-delà de sa pro­pre vie. Au bout de l’allée, Ioan l’attendait. Quelques mètres plus loin, se tenait Lola, jouant avec pas­sion et de con­cert avec le ténébreux vio­lon­cel­liste, le pianiste jovial et la bouil­lon­nante chanteuse d’opéra. C’était une réus­site ! Elle pou­vait com­mencer à se déten­dre. Plus rien n’entraverait son chemin. Elle se fig­u­rait déjà régen­ter la galerie à côté de son époux dont « elle ne fai­sait qu’une bouchée » depuis leur pre­mière ren­con­tre. Encore un peu de patience et elle atteindrait « l’Everest ». Ioan, con­cen­tré sur celle qui allait partager sa vie, ne pou­vait s’empêcher de jeter des coups d’œil fur­tifs vers celle qui s’était trans­for­mée en aimant pour ses sens. Lola, telle la déesse de l’Amour, irra­di­ait de toute sa splen­deur. L’incroyable chaleur qu’elle pro­je­tait aurait pu faire fon­dre le plus gros des ice­bergs. Boris, à deux pas der­rière Ioan, était vis­cérale­ment har­pon­né par cette syl­phide dont le scin­tille­ment des dorures de la courte robe busti­er aux mul­ti­ples volants révélait la vénusté de sa plas­tique irré­sistible. Le céli­bataire endur­ci s’imaginait se lover de plaisirs dans le délice de cette « enveloppe sen­suelle » exé­cu­tant à présent « Panis Angeli­cus » à la per­fec­tion. Le pou­voir de séduc­tion de cette sirène anni­hi­lait toutes réflex­ions raisonnables de l’homme ébloui par tant de maes­tria. En un bat­te­ment de cils, elle détrô­nait « la per­le du jour », la ravis­sante Elsa.

Le témoin s’approcha de l’oreille de Ioan.

  • Alors, tu ne m’avais pas dit que t’étais si bien entouré. P’tit cachoti­er, va…

Ioan se tour­na vers son ami, l’air inter­ro­ga­teur et fausse­ment détaché.

  • A vrai dire, je suis enchan­té que tu aies choisi Elsa…

Boris afficha un sourire coquin de pré­da­teur tout en fix­ant l’objet de sa con­voitise.

Ioan, désta­bil­isé et con­fus, res­ta figé face à la mar­iée qui venait d’arriver devant lui. Il por­ta instinc­tive­ment sa main vers sa poitrine dev­enue subite­ment lourde de douleurs : une flèche empoi­son­née s’y était enfon­cée. Était-il encore temps ? Sous l’emprise de son esprit tor­turé, tout se brouil­lait en lui. Pou­vait-il tout annuler ? Comme ça… D’un claque­ment de doigts ? Son ami était sur ses plate­ban­des et il ne pou­vait absol­u­ment pas se défendre ni même lui en vouloir. Il se sen­tait affreuse­ment éprou­vé alors que les pre­mières notes de « L’Ave Maria » de Cac­ci­ni s’élevaient dans les hau­teurs de la cathé­drale, lançant le sig­nal pour l’entrée du prêtre. Elsa détec­ta l’inconfort subit de son fiancé.

  • Ioan, ça va ? susurra-t-elle.

L’homme vul­nérable sen­tit le sol se dérober sous ses pieds. Saoul de désar­roi, les jambes coton­neuses et les yeux vit­reux, des gouttes de tran­spi­ra­tion dégouli­naient sur son front. Hap­pé par cette brusque défail­lance men­tale et physique, l’évanouissement sem­blait l’appeler. Il résista. Elsa le dévis­ageait, l’air inquisi­teur. Ioan, sans le vouloir, se tour­na trop tôt en direc­tion du prêtre et désha­bil­la Lola du regard. Elsa eut alors un soubre­saut de fébril­ité. La voix de l’homme d’église, intru­sive, s’insinua dans ses oreilles bour­don­nantes de rage. Ioan bais­sa la tête, trem­blant et blême, rêvant de ren­voy­er instam­ment les invités. Au même moment, la poigne d’Elsa faisant pres­sion sur sa main le rame­na à ses oblig­a­tions.

  • Moi, Elsa Gelos, je te prends toi, Ioan Smith, pour époux. Je promets de te rester fidèle dans le bon­heur et dans l’adversité, dans la san­té et dans la mal­adie, et de t’aimer tous les jours de ma vie.

Lola se tenait près de la mar­iée qui la foudroy­ait du regard. Le bel esprit lui présen­tait le coussin joli­ment brodé sur lequel repo­saient les alliances. Elle s’efforçait de garder une atti­tude empreinte de légèreté ami­cale. Cepen­dant, secrète­ment boulever­sée, elle rete­nait la mon­tée des eaux vers les fenêtres de son âme. Elle aurait voulu crier sa peine en envoy­ant valser les con­ve­nances. Le soleil s’était caché der­rière d’énormes nuages. La pluie s’abattait avec cour­roux sur les vit­raux. Meur­trie par ses sen­ti­ments, Lola se demandait com­ment une telle détresse était pos­si­ble. Ioan lui échap­pait. Elle ne l’acceptait pas et en voulait à la terre entière. Cepen­dant, c’était bien de sa faute. Elle l’avait quit­té.  A l’époque, elle n’avait pas su écouter son cœur ; elle avait choisi la musique sans laiss­er d’autre alter­na­tive que le sen­tier chao­tique de la sépa­ra­tion.  Ioan, tou­jours trou­blé, râcla le fond de sa gorge. Il était au pied du mur. Il se reprochait silen­cieuse­ment de l’avoir lais­sée par­tir, sans mots dire. Il n’avait aucune­ment fait preuve d’initiative pour la con­tr­er dans ses choix, pen­sant que se con­former à ses caprices la ramèn­erait. Il s’était ain­si enlisé dans sa zone de con­fort, croy­ant que son grand amour lui reviendrait néces­saire­ment un jour ou l’autre… L’adoration qu’ils se vouaient l’un pour l’autre ne pou­vait se dompter. Leur flamme, éter­nelle, ne pou­vait s’éteindre d’un sim­ple souf­fle. Déroutés, les deux amoureux s’enfoncèrent dans leurs réflex­ions funestes. La riv­ière du temps les avait éloignés et ils avaient été inca­pables de faire à nou­veau con­verg­er leurs routes. C’était insen­sé ! Lola chance­lait peu à peu, prête à choir, brisée, aux pieds de l’Univers. La dili­gence de Boris la sau­va. Il avait com­pris le malaise des deux amis. Alors, tel un aigle obser­vant sa proie, il se rap­procha à temps pour pren­dre le relais. Lola put se dégager de cette sit­u­a­tion incom­modante. Elle rejoignait lente­ment son instru­ment lorsqu’elle enten­dit les vœux de Ioan. Le couperet de la puni­tion tom­ba, con­damnant tout espoir. Il était trop tard ! les deux aveu­gles avaient passé leur tour. Ils s’étaient finale­ment per­dus dans le labyrinthe du chat et de la souris, par bêtise, par igno­rance, mais aus­si par respect et par peur de trans­gress­er les règles de la bien­séance. En volant à son sec­ours, Boris avait pu effleur­er le corps de Lola et lui repo­si­tion­ner déli­cate­ment une mèche de cheveux. Tout en retenant son souf­fle, il avait goûté au velours de sa peau. Il se délec­tait des effluves de son par­fum accrochés à ses nar­ines. Il flot­tait de bon­heur tan­dis que Ioan se jetait dans la gueule du loup sous l’œil vig­i­lant d’Elsa.

  • Et avec cet anneau, je lie ma vie à la tienne. Dans la joie comme dans la peine. Dans la richesse comme dans la pau­vreté. Pour le meilleur et pour le pire.

A peine le dernier mot pronon­cé, Elsa se pré­cipi­ta pour embrass­er celui qui était désor­mais dans ses filets. Elle n’hésita pas à mon­tr­er le pou­voir de sa posi­tion en toisant, arro­gante et pleine de con­fi­ance, Lola. Elle afficha un sourire plein de sat­is­fac­tion à l’assemblée. Yolan­da, pétil­lante, fit un clin d’œil au groupe pour don­ner le départ du morceau suiv­ant. Sus­pendue aux lèvres de la diva et aux doigts d’or des musi­ciens, les audi­teurs rete­naient dif­fi­cile­ment leur état de pamoi­son : cer­tains fer­maient les yeux tout en se bal­ançant légère­ment de droite et de gauche, d’autres avaient leur bouche entrou­verte, se deman­dant jusqu’où l’intensité de la mélodie atteindrait leur for intérieur ; quelques-uns pleu­raient, quelques autres, touchés par la grâce de cette divine musique, fre­donnaient leur bien-être.  « Io ti pen­so Amore » était encore dans toutes les pen­sées et pour­tant les corps com­mençaient à vibr­er au rythme de « Pas­sacaglia » d’Haendel. Rien ne pou­vait les déloger de leurs sièges, soudain tra­ver­sés par un mys­térieux flu­ide impal­pa­ble de paix. De nou­veau étince­lante, Lola était en osmose avec la can­ta­trice qui prê­tait sa voix à la chan­son de clô­ture, « Across end­less dimen­sions ». La musique alla jusqu’à s’insinuer sous la cara­pace inébran­lable de Matei. Debout dans l’aile gauche de la cathé­drale, il se défendait d’être touché à vif par l’énigmatique mag­nétisme de Lola. La par­ti­tion déroulait son tapis rouge aux jeunes mar­iés qui avançaient vers le halo de lumière blanche du bout de la nef. Une joyeuse myr­i­ade de grains de riz les attendait à l’entrée de l’église.

Après l’amusement du tra­di­tion­nel cortège et de la cacoph­o­nie des klax­ons, tous les con­vives se retrou­vèrent au sein d’une immense demeure dont la salle prin­ci­pale joux­tait une ter­rasse-piscine qui sur­plom­bait tout Liv­er­pool. Les hôtes cir­cu­laient gaiement dans tout ce luxe. Lola osait à peine marcher sur le sol en mar­bre avec ses talons dont les semelles avaient été souil­lées de boue. Elle cher­cha des mou­choirs en papi­er dans la housse de son vio­lon pour enfin retir­er ses chaus­sures et les essuy­er tant bien que mal. La sen­sa­tion fraîche sous sa voûte plan­taire lui plai­sait. Elle serait bien restée pieds nus pour le reste de la journée. Mal­gré son accoin­tance avec ce monde d’apparat, elle ne s’y accou­tu­mait pas. Un peu esseulée, elle regar­dait les petits groupes mondains se for­mer lorsqu’elle remar­qua un bel homme au cheveux longs l’observer . Gênée, elle se détour­na rapi­de­ment et tom­ba nez à nez avec le chef d’orchestre ren­con­tré deux jours plus tôt.

  • Ah ! Je vous trou­ve enfin. Je vous ai trou­vé absol­u­ment mag­nifique. Quelle adresse ! Quel touch­er ! Je n’irai pas par qua­tre chemins. Je vous veux. J’adorerais tra­vailler avec vous. Vous pour­riez inté­gr­er notre ensem­ble en pre­mier vio­lon solo. Comme le demande cette posi­tion, vous exerceriez une autorité morale en faisant le lien entre moi et les musi­ciens.

Lola, sur­prise par tant d’emballement, bal­bu­tia :

  • Oh… Eh bien, je… Enfin, je com­prends… Mer­ci ! Que dire… Vous me flat­tez. Cepen­dant…

Le chef d’orchestre la fit taire avec diplo­matie :

  • Chut…, dit-il en éle­vant douce­ment son doigt devant sa bouche. Pas de réponse hâtive. S’il-vous-plaît, réfléchissez‑y à tête reposée et faites-moi signe quand vous serez prête ! Voici mon numéro.

Les yeux ronds d’étonnement, Lola tenait la carte de vis­ite de celui qu’elle por­tait aux nues depuis des années. Il lui pro­po­sait un poste en or. Mais, com­ment faire ? Elle devait finir son con­trat. Et puis, vivre à Liv­er­pool la rap­procherait néces­saire­ment de Ioan et de sa famille… Quelle ironie du sort ! Au moment où les dés étaient jetés. Elle voy­ait les invités défil­er devant les jeunes mar­iés. Elsa avait cette atti­tude de la femme pré­somptueuse à qui tout est dû. Lola se fau­fi­la et fit à son tour son devoir.

  • Félic­i­ta­tions ! J’ai été ravie d’avoir été à vos côtés pour célébr­er cette belle journée. Je vais devoir m’absenter pour rap­porter mon vio­lon à l’hôtel mais je reviendrai vite.

Elsa, saisit cette oppor­tu­nité pour l’humilier. Elle fit tomber son bou­quet de fleurs.

  • Pou­vez-vous le ramass­er ?
  • Excusez-moi ?
  • Oui, il n’est pas con­ven­able que je me baisse. Je suis la mar­iée.

Lola, décon­te­nancée, s’exécuta. Elsa fit mine de per­dre l’équilibre et lui écrasa la main.

  • Aïe !
  • Atten­tion Lola ! s’écria Ioan.
  • Oh, par­don ! Ces fichus talons… Je me suis tor­du la cheville, dit Elsa fausse­ment désolée en soule­vant le bas de sa robe.
  • Chéri, j’ai mal ! insis­tait la jeune mar­iée.
  • Fais voir… Non ce n’est rien. Et toi Lola ?

Elsa enfonça son talon aigu­ille dans l’avant du pied de Ioan qui s’exclama de douleurs.

  • Elsa ! Que t’arrive-t-il ?
  • Oh, mon amour, vient là que je t’embrasse. Je n’ai pas fait exprès.

Lola lui ten­dit le bou­quet à présent abîmé. Elsa le prit non­cha­la­m­ment et le jeta par-dessus son épaule tout en dévis­ageant la jeune artiste.

  • Bon, je dois y aller, reprit la jeune femme blessée.
  • Et surtout prenez tout votre temps, ajou­ta Elsa très dis­tincte­ment.

Ioan, choqué par son épouse voulut s’excuser auprès de Lola mais Elsa l’en empêcha.

  • Ioan, tais-toi !

L’homme gar­da le silence afin d’éviter un scan­dale. L’attitude réservée à Lola lev­ait sans con­teste les doutes sur l’animosité fomen­tée par la mar­iée à l’égard de la jeune artiste. Qu’avait-elle pu faire de répréhen­si­ble ? Elsa n’était tout de même pas apte à lire dans les pen­sées. Quel agisse­ment aurait-il pu la trahir ?

  • Où courez-vous comme ça ?

Lola rel­e­va la tête et vit le vis­age mod­éré­ment car­ré de Boris, dévoilant une expres­sion de sat­is­fac­tion.

  • Oh, Boris. Eh bien, je m’en vais.
  • Com­ment ça ?
  • Mais je reviens… Je dois ramen­er mon vio­lon dans ma cham­bre d’hôtel. Je ne peux pas le garder ici.
  • Je vous y con­duis ?
  • Euh…
  • J’ai loué une voiture. Ce serait bête de ne pas en prof­iter.

Avant même que la jeune femme n’ait pu répon­dre, Matei se pos­ta devant eux.

  • Une coupe de cham­pagne ?
  • Eh bien… Je dois…
  • Allons, ça ne se refuse pas !

Lola, intimidée de voir l’homme aux longs cheveux devant elle, inter­ro­gea Boris du regard.

  • Pourquoi pas ! Il n’y a pas le feu au lac, hein ?

Matei ten­dit les deux coupes de cham­pagne à ses deux com­pagnons et fit signe au serveur de lui en rap­porter une autre.

  • A qui ai-je l’honneur ? dit-il en se tour­nant d’abord vers son con­cur­rent.
  • Boris ! Un ami de longue date du mar­ié.
  • Et vous, qui jouez si bien du vio­lon ?

Il avait attrapé la main de Lola pour l’embrasser. Intimidée, Lola fixa cet homme auda­cieux à la voix envoû­tante. Il avait ce quelque chose de fasci­nant et d’incompréhensible à la fois. Les pom­mettes empour­prées, elle répon­dit hési­tante.

  • Eh bien… Lola. Je suis Lola.
  • Enchan­té ! Matei, le frère d’Elsa.

La musi­ci­enne eut un fris­son.

  • Ah !

Boris s’interposa entre le séduc­teur et sa belle.

  • Égale­ment enchan­té de vous con­naître ! Je ne savais pas qu’Elsa avait un frère.

Matei, le sourire en coin, lui écrabouil­la les os de la main ten­due. Boris s’empressa de l’extraire de ce pres­soir. Dans un geste affir­mé il leva sa coupe.

  • Tchin !

Ils trin­quèrent et burent tous les trois le cham­pagne d’une seule traite. Elsa se dirigea à grands pas vers eux.

  • Ah, vous êtes tou­jours là, Lola ? dit-elle d’un air dédaigneux et sec.

Boris inter­pel­lé par la façon abrupte et irre­spectueuse dont la mar­iée s’adressait à celle qu’il con­voitait, lui répon­dit :

  • Juste­ment nous allions par­tir. Lola ?
  • Euh… Oui, il est temps d’y aller !
  • Si vite ? ajou­ta Matei.

Elsa le pinça dis­crète­ment. Il regar­da sa sœur, l’air sur­pris.

  • Laisse-la, s’il-te-plaît. Dit-elle d’un ton autori­taire.
  • Eh, calme-toi, soeurette. Il sem­blerait que tu aies un prob­lème.
  • Oh, ça va.
  • Je détecte même un brin de jalousie, non ?
  • Oh, lâche-moi… Con­tente-toi de faire ce que je te dis.
  • Ah non, Elsa. Regarde-moi bien ! Et d’une, tu ne me com­man­des pas et de deux, elle ne t’a rien fait. Tu entends ?
  • Si.
  • Quoi ?
  • Ils sont trop proches.
  • Elsa ! Reprends-toi, s’il-te-plaît ! Tu ne peux pas met­tre Ioan dans une bulle.

Con­trar­iée, Elsa s’éloigna de son frère pour retourn­er auprès des invités tan­dis que Boris et Lola étaient déjà prêts pour s’engouffrer dans la voiture.

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