Correction du sujet 2

On ne sait jamais tout.

Si son pied n’avait pas glis­sé, elle n’aurait jamais trou­vé le cof­fret caché à l’intérieur de la marche.
Après la chute spec­tac­u­laire de Glo­ria, la mai­son était à présent rede­v­enue triste et silen­cieuse. Elle n’avait pas com­pris ce qui s’était passé. L’arrondi du nez de marche l’avait trahie. Elle avait soudaine­ment per­du le con­trôle. Il sem­blait que le vieil escalier était com­plice de l’univers en voulant détourn­er son atten­tion de sa pro­fonde afflic­tion pen­dant quelques instants. Son corps fut arrêté par le poteau d’angle. Elle ne sen­tait plus sa cheville en détresse. Son pied avait tra­ver­sé le bois ver­moulu. Quelle poisse ! Son deuil ne lui suff­i­sait pas. Il fal­lait que le fardeau de sa peine s’alourdisse. L’éprouvée dut fournir un effort peu habituel pour se redress­er avant d’extraire sa jambe du gros trou. Enfin délivrée, son atten­tion fut immé­di­ate­ment hap­pée par l’apparition inat­ten­due d’un objet. Piquée par la curiosité, elle se déplaça tant bien que mal afin de pou­voir saisir la chose encore cam­ou­flée par les éclats de bois. Après avoir insisté quelques min­utes, un cof­fret fine­ment sculp­té émergea. A bout de force et après quelques pas, elle se rel­e­va et s’installa dans le canapé recou­vert d’un drap blanc. Glo­ria craig­nait presque d’ouvrir la boîte. Que pou­vait-elle bien ren­fer­mer pour avoir été dis­simulée de la sorte ? Elle avait gran­di dans cette mai­son et elle n’aurait jamais soupçon­né trou­ver un secret dans le ven­tre de l’escalier. Sa mère en avait-elle con­nu l’existence ? Glo­ria pou­vait enten­dre les mur­mures de cette anci­enne demeure. Qu’avait-elle à con­ter ? L’endeuillée, pen­sive et souf­frante, se déci­da à obtenir le fin mot de l’histoire. Elle soule­va le cou­ver­cle.
Des let­tres… Des let­tres enroulées dans un mou­choir brodé aux ini­tiales « AdeS », le tout lié par un beau ruban rouge.
L’enfant de la mai­son, hyp­no­tisé par cette décou­verte, dénoua déli­cate­ment le tré­sor. Le cœur bat­tant et les mains moites, elle saisit la pre­mière enveloppe qui se présen­tait sur le dessus de la pile. Elle la retour­na, la sen­tie et en frôla le sceau encore intact avant d’oser la déca­cheter. Elle s’apprêtait à par­courir des mots pré­cieux volon­taire­ment ignorés par le des­ti­nataire. Quelle sit­u­a­tion étrange ! Pourquoi les avoir con­servées pour s’en détourn­er aus­si lâche­ment ? Cette cor­re­spon­dance n’avait pas été lue. Glo­ria brûlait de curiosité. Elle déplia la feuille au blanc naturel qui avait résistée au temps. La pre­mière phrase dis­si­pa tout mys­tère sur la per­son­ne à qui le cour­ri­er était adressé. Il s’agissait de sa mère. Trem­blante, elle débu­ta la lec­ture.
« Ma douce et ten­dre Zéline,
Je t’en prie, reviens-moi mon amour. Je saurai te faire accepter par ma famille. Ils ne te ver­ront plus comme une femme de cham­bre. Je saurai effac­er ta con­di­tion et te hiss­er au rang qui est le mien. Laisse-moi une chance de te prou­ver la pureté de mes sen­ti­ments et la sincérité de mes promess­es. Cet amour nous appar­tient, Zéline. Nous seuls devons décider com­ment le vivre. Tu as allumé un brasi­er au plus pro­fond de mes entrailles. Tu es mon autre. Sans toi, je me con­sume de tristesse. Je t’en con­jure, reviens près de moi ! Sans ta chaleur, je me meurs. Plus rien n’a d’importance mis à part nous deux. Je ne vois plus la lumière du jour depuis ton départ et, je sais tout. Tu portes mon enfant. N’aie crainte ! Tu ne tomberas pas en dis­grâce. J’abandonnerai tout, s’il le faut, pour t’épouser. Je t’aime tant.
Ton éter­nel dévoué
Amau­ry de Sézac »
Le couperet de la trahi­son tombait telle l’extrême lour­deur d’une enclume sur cette femme qui réal­i­sait, du haut de ses cinquante ans, avoir été élevée dans le men­songe. Les larmes afflu­aient dans ses grands yeux bleus dont le poids des années n’avait pas altéré leur étin­celle. Rien ne pou­vait les retenir. Tran­sie de dés­espérance, elle aurait voulu hurler sa décep­tion et son impuis­sance ; elle aurait voulu saisir une mas­sue pour emboutir les murs de faus­seté qui l’entouraient, ceux-là même qui avaient inlass­able­ment écouté les his­toires que lui racon­tait sa mère bien-aimée. Mais elle ne lui avait pas relaté l’essentiel. Pourquoi avait-elle trébuché dans ce foutu escalier. Elle ne voulait plus rien savoir. Seule devant ce poi­son, sa con­fu­sion était immense. Elle aurait voulu remon­ter le temps et avoir mirac­uleuse­ment la chance de vivre un dernier tête-à-tête avec celle qui l’avait mise au monde. Elle était par­tie en la lais­sant avec tous ces fan­tômes. Un souf­fle frais cares­sa sa joue. Elle eut un sur­saut. Les fenêtres étaient pour­tant toutes fer­mées. Quelque chose l’incita à fer­mer les paupières. Elle prit plaisir à respir­er pro­fondé­ment jusqu’à trou­ver un apaise­ment for­tu­it.
La nuit tombait. Glo­ria avait finale­ment eu le courage de tourn­er toutes les pages de la longue com­plainte amoureuse. Elle avait besoin de repren­dre son souf­fle, de faire une pause loin de ces lieux pleins d’énergie d’antan. Dehors, l’horizon était voilé d’un rose pour­pre dont l’impressionnante lumi­nosité vint réchauf­fer son cœur. Elle inséra la clef dans la ser­rure puis tour­na le dos à l’antre du mys­tère des choix.
A l’heure où la lune scin­til­lait de mille feux, les let­tres apprivoisèrent l’espace de leur danse mys­térieuse avant de dis­paraître à jamais. Une rose rouge avait été déposée sur la tombe de Zéline.
Glo­ria ne trébucherait plus.

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