On ne sait jamais tout.
Si son pied n’avait pas glissé, elle n’aurait jamais trouvé le coffret caché à l’intérieur de la marche.
Après la chute spectaculaire de Gloria, la maison était à présent redevenue triste et silencieuse. Elle n’avait pas compris ce qui s’était passé. L’arrondi du nez de marche l’avait trahie. Elle avait soudainement perdu le contrôle. Il semblait que le vieil escalier était complice de l’univers en voulant détourner son attention de sa profonde affliction pendant quelques instants. Son corps fut arrêté par le poteau d’angle. Elle ne sentait plus sa cheville en détresse. Son pied avait traversé le bois vermoulu. Quelle poisse ! Son deuil ne lui suffisait pas. Il fallait que le fardeau de sa peine s’alourdisse. L’éprouvée dut fournir un effort peu habituel pour se redresser avant d’extraire sa jambe du gros trou. Enfin délivrée, son attention fut immédiatement happée par l’apparition inattendue d’un objet. Piquée par la curiosité, elle se déplaça tant bien que mal afin de pouvoir saisir la chose encore camouflée par les éclats de bois. Après avoir insisté quelques minutes, un coffret finement sculpté émergea. A bout de force et après quelques pas, elle se releva et s’installa dans le canapé recouvert d’un drap blanc. Gloria craignait presque d’ouvrir la boîte. Que pouvait-elle bien renfermer pour avoir été dissimulée de la sorte ? Elle avait grandi dans cette maison et elle n’aurait jamais soupçonné trouver un secret dans le ventre de l’escalier. Sa mère en avait-elle connu l’existence ? Gloria pouvait entendre les murmures de cette ancienne demeure. Qu’avait-elle à conter ? L’endeuillée, pensive et souffrante, se décida à obtenir le fin mot de l’histoire. Elle souleva le couvercle.
Des lettres… Des lettres enroulées dans un mouchoir brodé aux initiales « AdeS », le tout lié par un beau ruban rouge.
L’enfant de la maison, hypnotisé par cette découverte, dénoua délicatement le trésor. Le cœur battant et les mains moites, elle saisit la première enveloppe qui se présentait sur le dessus de la pile. Elle la retourna, la sentie et en frôla le sceau encore intact avant d’oser la décacheter. Elle s’apprêtait à parcourir des mots précieux volontairement ignorés par le destinataire. Quelle situation étrange ! Pourquoi les avoir conservées pour s’en détourner aussi lâchement ? Cette correspondance n’avait pas été lue. Gloria brûlait de curiosité. Elle déplia la feuille au blanc naturel qui avait résistée au temps. La première phrase dissipa tout mystère sur la personne à qui le courrier était adressé. Il s’agissait de sa mère. Tremblante, elle débuta la lecture.
« Ma douce et tendre Zéline,
Je t’en prie, reviens-moi mon amour. Je saurai te faire accepter par ma famille. Ils ne te verront plus comme une femme de chambre. Je saurai effacer ta condition et te hisser au rang qui est le mien. Laisse-moi une chance de te prouver la pureté de mes sentiments et la sincérité de mes promesses. Cet amour nous appartient, Zéline. Nous seuls devons décider comment le vivre. Tu as allumé un brasier au plus profond de mes entrailles. Tu es mon autre. Sans toi, je me consume de tristesse. Je t’en conjure, reviens près de moi ! Sans ta chaleur, je me meurs. Plus rien n’a d’importance mis à part nous deux. Je ne vois plus la lumière du jour depuis ton départ et, je sais tout. Tu portes mon enfant. N’aie crainte ! Tu ne tomberas pas en disgrâce. J’abandonnerai tout, s’il le faut, pour t’épouser. Je t’aime tant.
Ton éternel dévoué
Amaury de Sézac »
Le couperet de la trahison tombait telle l’extrême lourdeur d’une enclume sur cette femme qui réalisait, du haut de ses cinquante ans, avoir été élevée dans le mensonge. Les larmes affluaient dans ses grands yeux bleus dont le poids des années n’avait pas altéré leur étincelle. Rien ne pouvait les retenir. Transie de désespérance, elle aurait voulu hurler sa déception et son impuissance ; elle aurait voulu saisir une massue pour emboutir les murs de fausseté qui l’entouraient, ceux-là même qui avaient inlassablement écouté les histoires que lui racontait sa mère bien-aimée. Mais elle ne lui avait pas relaté l’essentiel. Pourquoi avait-elle trébuché dans ce foutu escalier. Elle ne voulait plus rien savoir. Seule devant ce poison, sa confusion était immense. Elle aurait voulu remonter le temps et avoir miraculeusement la chance de vivre un dernier tête-à-tête avec celle qui l’avait mise au monde. Elle était partie en la laissant avec tous ces fantômes. Un souffle frais caressa sa joue. Elle eut un sursaut. Les fenêtres étaient pourtant toutes fermées. Quelque chose l’incita à fermer les paupières. Elle prit plaisir à respirer profondément jusqu’à trouver un apaisement fortuit.
La nuit tombait. Gloria avait finalement eu le courage de tourner toutes les pages de la longue complainte amoureuse. Elle avait besoin de reprendre son souffle, de faire une pause loin de ces lieux pleins d’énergie d’antan. Dehors, l’horizon était voilé d’un rose pourpre dont l’impressionnante luminosité vint réchauffer son cœur. Elle inséra la clef dans la serrure puis tourna le dos à l’antre du mystère des choix.
A l’heure où la lune scintillait de mille feux, les lettres apprivoisèrent l’espace de leur danse mystérieuse avant de disparaître à jamais. Une rose rouge avait été déposée sur la tombe de Zéline.
Gloria ne trébucherait plus.