A VOS STYLOS

Je vous pro­pose de faire une pause et de laiss­er libre court à votre imag­i­na­tion, celle qui apaise, celle qui trans­porte au creux de nous-même. A par­tir de la pho­to pro­posée, lais­sez-vous guider par votre inspi­ra­tion…

Voici un exem­ple de texte répon­dant au sujet :

Pho­tos de dupes

Mara se trou­vait enfin devant son hôtel. Elle sen­tait des gouttes de tran­spi­ra­tion couler le long de ses
tem­pes et de son front. La bretelle gauche de son sac à dos ne ces­sait de gliss­er le long de son épaule.
Elle avait eu du mal à faire rouler sa valise. Il fai­sait une chaleur étouf­fante. Le « moto­scafi » repar­tait
vers le pont du Rial­to. Une légère brise cares­sait ses pom­mettes d’une rougeur inhab­ituelle. Une
mèche de cheveux s’était col­lée près de la com­mis­sure de ses lèvres. Les mains occupées, elle souf­fla
en vain à plusieurs repris­es pour ten­ter de la décoller. Heureuse, Mara res­pi­rait pro­fondé­ment pour
rem­plir ses poumons de l’air ambiant. La jeune femme afficha un large sourire. Enfin, elle foulait les
pavés de l’auguste ville de l’amour. Le vis­age tourné vers la douceur du soleil, la pétil­lante pho­tographe
allait pou­voir longer les canaux pour capter les moin­dres éclats de lumière et s’engouffrer dans les
ruelles étroites afin d’immortaliser toutes les nuancesin­so­lites, l’indescriptible âme véni­ti­enne. Le rêve
deve­nait réal­ité. Elle s’apprêtait à con­cevoir son pre­mier arti­cle pour un grand mag­a­zine. Le monde du
jour­nal­isme lui avait finale­ment ouvert ses portes et lui accor­dait une chance inouïe.
Elle ressen­tit soudain une douleur lanci­nante dans la plante de ses pieds. L’arrière de ses talons brûlait.
Comme il lui tar­dait de retir­er ses chaus­sures ! Elle avait fait l’erreur de les acheter juste avant de
pren­dre l’avion.
Elle se tenait à présent devant le comp­toir de la récep­tion. Elle action­na la son­nette de l’hôtel du Rial­to.
Un jeune homme apparut immé­di­ate­ment. L’œil noir perçant, les cheveux rassem­blés soigneuse­ment
à l’arrière de la nuque, il impres­sion­na la voyageuse par sa puis­sante et énig­ma­tique énergie. Elle aurait
voulu se fon­dre en lui à la recherche de cette source riche d’enivrantes vibra­tions. Il irra­di­ait.

  • Bon­jour ! Elio, pour vous servir, dit-il d’une voix suave, regorgeant de belles sonorités
    ital­i­ennes.
  • Bon­jour ! répon­dit-elle la voix à peine audi­ble. Je suis Mara Scribes. Une cham­bre a été
    réservée à mon nom par le mag­a­zine « Globe-trot­teur ».
  • Oui, par­fait. Vous êtes un peu en avance mais la cham­bre est prête.
    Le récep­tion­niste lui ten­dit le for­mu­laire usuel à rem­plir par les touristes. Elle s’empressa de sor­tir le
    passe­port de son sac. A peine avait-elle fini d’écrire les for­mal­ités d’entrée qu’elle fut décon­te­nancée
    par l’effleurement de la main d’Elio récupérant le doc­u­ment. Il lui don­na en retour la clé qui lui était
    des­tinée. Il pré­cisa que le petit déje­uner était servi tous les jours entre six heures et onze heures sur
    la grande ter­rasse extérieure face au grand canal. Il ajou­ta qu’elle pour­rait égale­ment prof­iter de cette
    vue depuis le bal­con de sa cham­bre. Les paroles du récep­tion­niste se dilu­aient dans ses oreilles. Elle
    ne les entendait même plus. Son trou­ble gran­dis­sait. Elle buvait le flot de paroles sans les écouter. Elle
    était lit­térale­ment hap­pée par son mag­nétisme.
  • Si vous avez besoin de quoi que ce soit, tapez sur la touche zéro du télé­phone pour join­dre le
    per­son­nel. Nous sommes présents sans dis­con­tin­uer, jour et nuit. Je vous souhaite de pass­er
    un agréable séjour à l’hôtel Rial­to.
  • Mer­ci ! dit-elle avec cette cer­ti­tude qu’elle n’avait absol­u­ment rien retenu de ce qui lui avait
    été expliqué.
    Mara se sen­tait flot­ter dans une sphère spa­tio-tem­porelle hors du com­mun. A cet instant, seuls les
    bat­te­ments invis­i­bles de son monde intérieur fai­saient sens en la soumet­tant à de vives émo­tions. Elle
    s’éloigna de l’hôte d’accueil qui l’avait, pour une rai­son incom­préhen­si­ble, touchée en plein cœur. Elle
    appuya mécanique­ment sur le bou­ton de l’ascenseur qui l’accueillit sans atten­dre pour la con­duire au
    deux­ième étage. La cham­bre « 55 » était située au milieu du couloir. Elle repre­nait pro­gres­sive­ment
    ses esprits mal­gré la ténac­ité des effluves du par­fum d’Elio qui per­sis­taient d’une part à fauss­er son
    odor­at et d’autre part à la désta­bilis­er. La jeune jour­nal­iste, tant éprise de lib­erté, eut la sen­sa­tion de
    s’être retrou­vée subite­ment en équili­bre, pris­on­nière d’une série d’oscillations incon­trôlables. Elle
    inséra mal­adroite­ment la clé dans la ser­rure. Ses mou­ve­ments man­quaient de flu­id­ité jusqu’à en faire
    tomber ses affaires. Elle les ramas­sa de manière absol­u­ment désor­don­née tout en pous­sant
    abrupte­ment la porte. L’ouverture de celle-ci révéla une déli­cieuse suite au charme unique dont
    l’empreinte fastueuse et roman­tique du style clas­sique véni­tien du 18ème siè­cle la trans­porta dans
    l’élégance d’une autre époque. Emue, elle lâcha la poignée de sa valise et aban­don­na nég­ligem­ment
    son sac à dos sur le grand lit avant de se pré­cip­iter vers le bal­con. Telle une amoureuse tran­sie, ses
    yeux humides admi­raient le pont du Rial­to baig­nant dans un halo de blanc lumineux presque irréel,
    sub­limé par les scin­tille­ments recou­vrant la sur­face de l’eau du Grand Canal : les dia­mants de Venise.
    Mara reve­nait à un calme intérieur. Elle avança sa main vers toute cette bril­lance, sai­sis­sant
    l’impalpable de ce que lui offrait la nature.
    Après quelques min­utes d’extase, elle refer­ma la porte vit­rée. Mara tro­qua ses nou­velles chaus­sures
    qui la fai­saient main­tenant hor­ri­ble­ment souf­frir con­tre ses bonnes vieilles bas­kets. Elle changea son
    haut, prit ses lunettes de soleil, vida son sac à dos pour n’y laiss­er que l’essentiel et, légère, sor­tit de
    l’hôtel avec son appareil pho­to en ban­doulière.
    Mara mar­chait d’un pas alerte. Elle s’arrêta au beau milieu du pont du Rial­to. Sous le zoom aver­ti de
    son appareil pho­to, elle ren­dit éter­nelles les courbes poé­tiques et roman­tiques des gon­do­les qui
    nav­iguaient, lan­goureuses, sur la naguère « Rio Busian­i­cus ». La belle jour­nal­iste mul­ti­pli­ait les clichés
    de cette voie d’eau for­mant un « S » inver­sé et allant non­cha­la­m­ment du bassin de Saint-Marc jusqu’au
    pont de la Lib­erté, trans­portant à loisir des cou­ples ten­drement enlacés. La reporter n’en per­dait pas
    une miette. Son amour de la mise en scène pho­tographique trou­vait son lot d’inspiration dans cet
    envi­ron­nement si spé­cial. La pas­sion­née de voy­ages con­tin­ua sa marche vers le grand poumon de la
    ville. Un oiseau vole­ta près d’elle et alla se pos­er sur le rebord d’une fenêtre. L’hirondelle au plumage
    blanc, noir et rouge obser­vait d’un air inno­cent Mara qui s’approchait lente­ment. Les deux êtres
    sem­blèrent alors com­plices de ce temps sus­pendu dont une trace indélé­bile resterait à jamais figée
    sur papi­er glacé. En abais­sant son appareil pho­to, Mara eut le bon­heur de voir appa­raître la Tour de
    l’horloge plongeant, non loin d’elle, vers un ciel immac­ulé. L’hirondelle s’était envolée, aban­don­nant
    sa fugace parte­naire au « plus élé­gant salon d’Europe », celui dont le nom est sur toutes les lèvres, la
    place Saint-Marc. La Majestueuse s’étalait tel un chat se prélas­sant et ron­ron­nant au soleil devant
    l’assemblée de touristes, heureuse d’être là depuis des décen­nies, à reli­er avec grâce l’ensemble des
    mer­ceries sous son arche. Tout ce qui entourait Mara tenait du mir­a­cle. Elle se prom­e­na à en per­dre
    la notion du temps, cher­chant à com­mu­ni­quer la vérité des lieux en explo­rant son poten­tiel créatif.
    Elle s’amusait à bal­ay­er cette ville bateau de son objec­tif qui n’avait de cesse d’en tra­quer les richess­es
    et les sin­gu­lar­ités. Son admi­ra­tion s’arrêta soudain sur les mosaïques byzan­tines de la Basilique Saint-

Marc. Ses pas la con­duisirent à l’intérieur du Palais des Doges dont la grandeur des mélanges
archi­tec­turaux la fit se sen­tir toute petite, telle une four­mi à l’intérieur du roy­aume de ceux qui avaient
porté le des­tin de Venise. L’enfant qui som­meil­lait en elle s’aventura sur l’escalier d’or pour se ren­dre
au deux­ième étage. Elle y décou­vrit les salles des doges et de scrutin, la salle d’armes puis les cours et
la prison. Elle arri­va naturelle­ment au pont des Soupirs qui la mena aux cachots du palais. Elle
s’empressa de faire ses dernières pho­togra­phies et s’extirpa de cet endroit dont les ombres du passé
rendaient l’atmosphère tout à coup oppres­sante.
Une brise de fatigue vint subite­ment envelop­per Mara qui déci­da d’emprunter le chemin retour à
l’hôtel. Ses yeux goûtèrent alors aux sur­pris­es archi­tec­turales dont regorge ce musée à ciel ouvert.
L’empreinte du passé était là intacte, splen­dide. Au fil de l’eau, Mara suiv­ait les traces de l’histoire.
Chaque bâtisse ren­fer­mait en ses pier­res les plus beaux mais aus­si les plus inavouables des secrets.
Une idée folle lui tra­ver­sa l’esprit : était-ce pos­si­ble de défi­er la logique de ce monde en se télé­por­tant
aux divers­es épo­ques pour être témoin de leur réal­ité ? Sa réflex­ion la fit s’appesantir sur les dif­férents
jeux d’ombres et de lumières des façades d’immeubles. Elle fut piquée par un vif intérêt de les pren­dre
en pho­to en zoomant de plus en plus sur les détails des encadrements de fenêtres.
Sous cou­vert de son objec­tif, elle ren­trait peu à peu dans l’intimité des foy­ers. Au bout de quelques
min­utes son atten­tion se por­ta sur un cou­ple en grande dis­cus­sion. Mara ne parvint pas à détourn­er
son regard d’eux. Ils se dis­putaient. L’homme sem­blait invec­tiv­er la femme qui rec­u­la légère­ment. La
paparazz­ie se mit à cumuler les clichés pris à la dérobée. Elle enreg­is­trait en images la mon­tée de la
vio­lence de l’échange jusqu’à ce qu’ils en arrivent aux mains. La femme se débat­tait puis l’inconnu lui
attra­pa subite­ment son cou. Elle le frap­pait. Il l’étranglait. Mara en lais­sa choir son appareil pho­to.
Pétri­fiée de stu­peur, elle res­ta figée quelques dix­ièmes de sec­on­des. Un meurtre ! Elle était témoin
d’un meurtre.

  • Ce n’est pas pos­si­ble, s’écria-t-elle.
    Elle se mit à courir et s’engouffra à la pre­mière porte ouverte. Elle suf­fo­quait d’angoisse.
  • S’il-vous-plaît…. S’il-vous-plaît, inter­pel­la-t-elle la vendeuse d’une bou­tique. Il faut appel­er la
    police.
  • Com­ment ?
  • La police. Appelez la police, s’égosilla-telle dans un mau­vais ital­ien. Un homme vient
    d’étrangler une femme.
  • Que dites-vous ? Calmez-vous, madame.
  • Un homme étran­gle une femme.
  • Quoi ?
  • Un meurtre, là, regardez.
    Mara poin­ta du doigt la fenêtre. La vendeuse la regar­dait ges­tic­uler avec un air d’étonnement. Mara
    prit alors son cou dans ses mains pour mimer le drame qui était en train de se pass­er. Le vis­age de
    l’employée se liqué­fia. Trem­blante, elle se rua sur le télé­phone pour com­pos­er le numéro des forces
    de police. Les sirènes ne tardèrent pas à se faire enten­dre. Mara ne voy­ait plus la femme. Elle avait dû
    s’écrouler molle­ment. La police était arrivée sur les lieux et était entrée de force dans l’immeuble. N’y
    ten­ant plus, elle s’élança à leur ren­con­tre. Les armes à la main, les policiers visaient l’homme. Les mains
    lev­ées, il était tran­sit de peur. La vic­time, à terre, se rel­e­va lente­ment en bal­bu­tiant.
  • Que… Qu’y‑a-t-il ? dit-elle.
    Les armes braquées sur eux, le com­mis­saire divi­sion­naire s’avança.
  • Vous allez bien madame ?
  • Euh, oui….
  • Cet homme vous a‑t-il agressé ?
  • Euh, non, non… Je.
  • Quelqu’un l’a vu vous étran­gler.
  • Etran­glée ? Moi ? Ah, non, non, non… Vous faites erreur.
    Le cou­ple inter­loqué se regar­da et se mit à éclater de rire.
  • Je vous assure, il y a erreur.
  • Erreur ?
  • Oui, Nous étions en train de répéter.
  • Répéter ?
  • Oui. Notre pièce de théâtre.
  • Vous plaisan­tez ?
  • Non. Pas du tout. Nous sommes des acteurs.
    Mara rec­u­la douce­ment. Elle avait honte. Elle s’était lais­sée abuser par l’interprétation de ce qu’elle
    avait cru être une évi­dence. Le com­mis­saire la regar­dait.
  • Com­ment, com­ment ai-je pu…
    C’était un hor­ri­ble quipro­quo. L’histoire de ses pho­togra­phies retraçaient l’illusion d’un crime. Elle
    avait été dupée par deux acteurs en pleine répéti­tion. Les forces de police bais­sèrent leurs armes et
    véri­fièrent toutes les pièces de l’habitation. Force était de con­stater que les deux jeunes gens dis­aient
    la vérité. Le com­mis­saire divi­sion­naire s’approcha de Mara.
  • Je…
  • Chut… Ne vous inquiétez pas. Mieux vaut une fausse alerte que de décou­vrir un crime sor­dide.
    Vous avez fait ce que toute per­son­ne sen­sée aurait fait.
    Mara bégaya des excus­es avant de tourn­er les talons et de s’en retourn­er à sa cham­bre d’hôtel pour
    méditer sur ce qui venait de se pro­duire. Demain serait un autre jour.

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Sujet 1

Ecrit par

Marie MADERN

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